Apprentissage des adultes : comment apprenons-nous ?
Et que faire en tant que formateur pour augmenter les chances d’un réel apprentissage des adultes ?
Le courant socioconstructiviste postule (en synthétisant jusqu’à la caricature) que nous construisons (constructiviste) nos apprentissages en interagissant (socio) avec d’autres qui ont des opinions différentes. Ce postulat s’applique également à l’apprentissage des adultes.
Le vecteur des apprentissages est le « conflit socio-cognitif », c’est-à-dire l’échange de points de vue différents qui se règle à coups d’arguments (de nature cognitive) et non à coup d’insultes :-).
L’apprentissage, dans cette perspective, est plus que l’accueil d’une nouvelle cognition : il conduit ultérieurement à une restructuration cognitive et implique la prise en compte de plus de complexité. En d’autres termes, nous n’avons pas seulement ajouté des connaissances : nous avons restructuré notre base de données…
Par conflit socio-cognitif, il y a donc lieu d’entendre :
« …une dynamique interactive, supposant chez le sujet un engagement actif dans une confrontation cognitive, génératrice d’oppositions et de différences de points de vue. »
Ce conflit entraîne la prise de conscience qu’un autre regard sur le problème/la situation est possible.
Il peut être réglé de deux manières :
La régulation peut être relationnelle (jugement sur le partenaire, abandon de sa position uniquement par complaisance, …) ou cognitive (j’entends le point de vue de l’autre, je comprends ses arguments et j’intègre tout ou partie de ces éléments à ma réflexion).
C’est ce second mode de régulation qui permet l’apprentissage.
Pour qu’il y ait conflit socio-cognitif, il faut naturellement :
- Reconnaître le conflit (être conscient que les points de vue diffèrent).
- L’exprimer.
- Rechercher un consensus au départ de conceptions différentes.
La régulation cognitive du conflit se situe donc dans une logique simultanée de coopération et d’affrontement.
Quelles sont les conditions pour ce que processus conduise à un apprentissage ?
- La compétence cognitive : posséder les bases cognitives pour comprendre le point de vue de l’autre et comprendre en quoi il se distingue de son propre point de vue.
- Une compétence d’interaction sociale : il faut être capable d’interagir (dire et écouter) en argumentant et en entendant les arguments de l’autre partie.
- Les deux compétences précédentes induisent une capacité à reconnaître explicitement l’existence de deux points de vue et à interagir à leur sujet.
- Le moment doit être propice …
- L’intensité des interactions doit être suffisante … mais pas excessive (ce qui pourrait faire glisser le conflit sur le terrain socio-relationnel : on se dispute, on n’argumente plus).
- L’asymétrie entre les partenaires ne doit pas être trop importante : si elle l’est, il faut alors veiller à ce que le sujet dominant ne propose pas son point de vue rapidement, qu’il en postpose la formulation. Il y a également lieu de proposer son point de vue en incitant à ce qu’il soit critiqué (présenter des réponses alternatives – dont celles présentées par les participants – et pas une seule, en présenter les prémisses et postulats, introduire le principe d’un tiers dominant).
Il faut également envisager d’agir sur ce qui fonde l’asymétrie, que ces éléments soient objectifs (âge, grade, expérience, expertise, …) ou subjectifs (réputation, image, fonction, …).
Comment ? Par exemple en permettant aux apprenants de contribuer à l’élaboration du dispositif de formation, à son évaluation, … En introduisant un tiers (conseiller à la formation…) et en veillant à ne pas mélanger les genres (coach et évaluateur,…).
C’est donc ici une posture équilibrée entre humilité et assertivité du formateur (entre autres)qui contribuera à l’apprentissage.
L’apprentissage est certes « socio-constructiviste » mais il va impliquer un passage d’un processus interpersonnel à un processus intrapersonnel : l’apprentissage ne s’achève donc pas à l’issue de l’interaction.
Le fait de constater qu’il existe des réponses différentes de la sienne permet de travailler sur les croyances et opinions qui fondent sa propre réponse. - Signification sociale de la tâche. Il faut que l’apprenant ait la conviction que la tâche a du sens.
Il y a donc lieu d’expliciter l’enjeu de la tâche et l’objet d’apprentissage. Il faut également les relier à l’expérience du participant. - Un climat socio-affectif favorable (dont l’asymétrie !!)
Il faut stimuler les interactions entre les pairs (en étant par exemple attentif à la symétrie entre les prétendus pairs) pour que l’hétérogénéité (souhaitable) ne conduise pas à des inégalités nuisant à l’apprentissage, confronter le groupe à des tâches nécessitant une diversité de compétences ET prendre soin d’identifier et d’exprimer publiquement les compétences propres de chacun (ou de les leur faire exprimer !).
Veiller à prévoir des moments et lieux où on peut verbaliser ce qui se passe en termes de construction sociale du statut (exemple de l’exercice : qui a eu le plus d’influence dans ce groupe durant l’exercice, la journée).
Le formateur doit s’interroger sur l’impact de ses perceptions et des messages qu’il transmet au groupe sur la construction/perception d’inégalités. - Il va de soi qu’il sera, le cas échéant, nécessaire de travailler au développement des compétences sociales (assertivité, écoute, …).
L’essentiel de cet article résulte de la lecture d’un de mes Maîtres et de l’un de ses prestigieux collègues qui tous deux incarnent ce qu’ils prêchent : qu’ils en soient ici remerciés.
J’invite d’ailleurs les formateurs qui ne l’auraient pas lu à lire cet ouvrage… et leurs autres publications 🙂
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