
Introduction
Un des éléments qui nous semble contribuer à la qualité et au professionnalisme d’un formateur est son investissement dans sa propre formation continue. Cependant, il ne s’agit pas d’empiler les savoirs ainsi acquis, mais bien de les intégrer aux savoirs antérieurs pour restructurer les connaissances acquises afin de les appliquer, tendant ainsi vers ce que Bloom qualifie d’évaluation dans sa taxonomie.
A l’issue de notre formation de « praticien en psychologie positive[1] », nous avons dressé un constat : les deux dernières formations longues que nous avions suivies précédemment nous semblaient présenter de nombreux traits communs avec la psychologie positive. Sans pour autant prétendre que la Pleine Conscience[2] et l’Approche Neurocognitive et Comportementale[3] (ANC) sont des sœurs de la Psychologie Positive, il nous semblait cependant percevoir une réelle filiation.
Nous avons souhaité expliciter cette intuition en soulignant quelques-uns des points communs que nous percevons en étant toutefois bien consciente que nous ne pourrons être exhaustive. Cet exercice nous permet par ailleurs, ici aussi sans volonté d’exhaustivité, d’esquisser une première revue de la littérature afin de disposer d’éclairages scientifiques permettant de questionner notre impression initiale.
Avant d’aborder ces aspects, nous présenterons brièvement les trois approches.
Définitions
L’ANC, développée par l’Institut de Médecine Environnementale (IME) et l’Institut de Neurocognitivisme, portée entre autres par Jacques Fradin, est une démarche qui se veut à la fois scientifique et pragmatique. Elle est associée au courant des Thérapies Cognitives et Comportementales (TCC). En mettant l’accent sur les liens entre les changements d’attitude et les structures cérébrales impliquées, elle vise à développer le mieux-être, le mieux vivre et le mieux travailler. Pour ce faire, elle cherche à réaliser une synthèse entre les sciences de la psychologie (cognitive et de la santé), les sciences cliniques (thérapie comportementale et cognitive), celles du cerveau (neurosciences) ainsi que celles du management (Les fondamentaux de l’approche neurocognitive et comportementale).
La Pleine Conscience (ou Mindfulness) est quant à elle une manière particulière d’être en relation avec les événements qui surviennent dans notre vie, pas uniquement le stress ou les émotions négatives mais aussi les choses agréables. C’est une façon d’être présent, d’être intentionnellement présent. Pour Jon Kabat-Zinn, dans son ouvrage « Où tu vas, tu es » (Ed. J’ai Lu, 2005), pratiquer la Pleine conscience signifie diriger son attention, délibérément, au moment présent, sans jugement de valeur sur l’expérience vécue. La notion de non-jugement pourrait être développée comme suit : avec compassion, curiosité, acceptation et ouverture.
Rébecca Shankland, citant Gable et Haidt (2005), définit la psychologie positive comme « l’étude des conditions et des processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions ». Elle complète cette définition en ajoutant que l’« on entend par conditions, l’environnement familial, le voisinage, les relations amicales, le lieu d’habitation, les conditions de vie, le milieu scolaire, le contexte historique, les variables biologiques, les traits de personnalité (dispositions individuelles stables) qui vont faciliter l’expression des potentialités individuelles et le vécu d’expériences positives menant à un degré de bien-être satisfaisant. » Elle ajoute également que « la psychologie positive ne cherche pas à stimuler la quête du bien-être chez les individus », l’humain tendant naturellement à être heureux (Shankland, 2014, pp. 5-6).
Filiation « instinctive »
Le premier constat que nous avons dressé (et qui nous a probablement incitée à nous intéresser à ces approches) est qu’elles s’appuient toutes trois sur des fondements scientifiques et génèrent de (très) nombreuses recherches visant à questionner, renforcer et affiner les connaissances actuelles.
Elles partagent également de nombreux sujets d’intérêt ainsi que des champs d’application : émotions, adaptation, bien-être, satisfaction, … dans le cadre du coaching, de la thérapie, dans la vie privée comme dans l’entreprise.
Alors que nous étaient présentés les éléments qui entravent le chemin vers le bonheur mis en évidence par la psychologie positive (habituation, attentes, comparaison sociale et biais de négativité), nous faisions spontanément le lien avec des « solutions » proposées par la Pleine conscience et l’ANC :
Pleine conscience : entretenir sa curiosité, « pas d’attente, pas de déception », non-jugement, entrainement à la perception des ressentis et émotions agréables ;
ANC : opposition entre le mode mental automatique et le mode mental adaptatif, et plus spécifiquement les six dimensions, six propositions de bascule vers plus d’adaptabilité :
Automatique | Adaptatif |
Routine (habitude) | Curiosité (exploration, ouverture) |
Persévérance (rigidité) | Souplesse (acceptation, fluidité) |
Simplification (dichotomie, généralisation) | Nuance (perception de la complexité) |
Certitude (sensation de réalité) | Relativité (recul) |
Empirisme (pragmatisme) | Réflexion (rationalité) |
Image sociale (grégarité) | Opinion personnelle (individualisation) |
D’autre part, un lien explicite a rapidement été apporté, au travers des cartes d’actions positives. Positran nous les présente comme suit : « Ces cartes sont réparties en sept catégories d’interventions selon l’acronyme ACTIONS (des interventions sur l’Activité, la Compréhension, la Tranquillité, l’Identité, l’Optimisme, Nous et la Satisfaction). Les interventions proposées sont ludiques tout en offrant une mine d’informations sur comment intégrer de nouvelles habitudes positives au quotidien. » [4]
Comme nous l’avons indiqué, un des fondements de la Pleine conscience est le non-jugement. Qu’il s’agisse de situations auxquelles nous sommes confrontés, de nos pensées, de nos émotions, la première invitation proposée par la Mindfulness est d’accueillir ce qui se présente, sans chercher à y mettre autre chose à la place, sans juger l’événement, ni positivement, ni négativement. Observer et laisser passer. « Etre sans jugement aucun » et « acceptation en pleine conscience » nous proposent explicitement la même approche.
Par ailleurs, l’entrainement à la Pleine conscience sous la forme du cycle MBSR (« Mindfulness based stress reduction ») prévoit une approche progressive de la méditation, nous invitant à nous connecter à la respiration, aux sensations (ou absence de sensation) dans le corps, à l’observation des sons qui nous entourent pour finalement s’ouvrir à tout ce qui peut se présenter. Les cartes « respirer », « observer », « écouter » en pleine conscience et le « balayage corporel » sont clairement du même ordre que cette pratique.
Enfin, la « méditation bienveillante » semble très semblable à la méditation de l’amour bienveillant. Si elle est proposée en format « de poche » dans les cartes, elle s’avère être l’une des méditations les plus ardues à mettre en œuvre. Elle implique en effet tout d’abord l’amour de soi, pour l’étendre à nos proches, aux personnes plus éloignées que nous apprécions, à celles que nous n’aimons pas pour finalement englober la totalité des êtres vivants. On retrouve bien ici les fondements bouddhistes de la Pleine conscience et la pratique de la Boddhicitta (aimer tous les êtres sensibles pour les libérer du samsara).
Autre apport de la formation, autre lien : le modèle PERMA. Ce modèle nous propose d’évaluer notre bonheur à travers les cinq éléments constitutifs de notre bien-être : le plaisir, l’engagement, les relations, le sens (en mettre) et l’accomplissement. Et pour le mettre en application, la première étape consiste à prendre conscience de ces cinq éléments. Conscience. Une fois encore.
Un autre exemple ? SPARK/C (Situation, Perception, Affect, Réaction, Knowledge/Conséquence). Cet outil de réflexion nous invite à analyser une situation et à mettre ainsi en évidence le mode de fonctionnement automatique (cfr ANC) et ses conséquences. Cet exercice trouve son pendant dans le programme MBSR : durant une semaine, quotidiennement, les participants sont invités à remplir un tableau des événements agréables ; la semaine suivante est consacrée aux événements désagréables. Il s’agit ici aussi de distinguer les faits des ressentis et pensées et donc de conscientiser ces faits et ressentis.
Un pas plus loin
Cette affiliation nous semblait trop évidente pour qu’elle n’ait pas été explorée scientifiquement, ce que confirmaient déjà, nous l’avons dit, certaines des « cartes d’actions positives ». Et nous avons par ailleurs rapidement constaté que bien des chercheurs étiquetés « psychologie positive » étudient les impacts de la Pleine conscience. Nombre d’ouvrages et d’articles le confirment.
Commençons par citer Strub et Steiler (2013) qui non seulement confirment le lien de parenté entre pleine conscience et psychologie positive mais incluent, sans pour autant la nommer, l’ANC. Ils nous indiquent en effet que « l’objectif demeure néanmoins centré sur l’apprentissage d’un basculement intentionnel entre un mode de pensée non pleinement conscient et un mode de pensée pleinement conscient » (p. 312). C’est ici le concept de bascule, cher à l’ANC qui est associé à la conscience, ce duo contribuant tant à la santé psychique qu’à l’efficacité.
Ces auteurs relèvent par ailleurs que la « capacité à appréhender l’expérience sur un mode métacognitif (…) est le moteur de développement de l’insight ou de la prise de conscience expérientielle » (p. 315). Ils décrivent ainsi la compétence entrainée tant par le PERMA (voir ci-après) que parle SPARK/C (2 modèles issus de la psychologie positive), le calendrier des événements (pleine conscience) ou les exercices de bascule de l’ANC : conscientiser émotions, ressentis, jugements, … et les distinguer des faits.
Ils citent par ailleurs de nombreux bénéfices potentiels parmi lesquels la détection des états émotionnels (agréables et désagréables), l’engagement accru, la communication améliorée et les comportements antisociaux réduits, la capacité à se comporter en accord avec ses valeurs et une meilleure performance. Des bénéfices que l’on pourrait résumer en PERMA, modèle théorique de bonheur élaboré par Martin Seligman (2011) : Positive emotion – Engagement – Relationships – Meaning – Accomplishments.
Strub et Steiler (2013) soulignent également l’amélioration de la confiance et de l’auto-efficacité, du coping par rapport aux événements stressants ainsi que de la considération de la multiplicité des options de réponse non automatiques disponibles.
D’autre part, Brown et Ryan (2003) ont confirmé la corrélation entre Pleine conscience et bien-être, et plus spécifiquement une plus forte manifestation d’émotions agréables, de vitalité, de satisfaction face à la vie, d’estime de soi, d’optimisme, d’actualisation de soi mais aussi plus d’autonomie, de compétences et de relations.
Ces trois derniers facteurs constituent les leviers de la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan, auteurs également associés aujourd’hui au courant de la psychologie positive. Cette étude tend donc à montrer que développer ses aptitudes de Pleine conscience aura un impact positif sur la motivation.
Si nous revenons sur l’impact positif de la pleine conscience sur l’optimisme et sur le constat de Strub et Steiler (2013 – amélioration de l’auto-efficacité, multiplicité des réponses et coping), c’est un lien avec le modèle « HERO[5], » (Luthans et Youssef-Morgan, 2017) qui semble pouvoir être envisagé. C’est acronyme, traduit en français par « OSER » nous présente les composantes du capital psychologique : Optimisme – Sentiment d’auto-efficacité – Espoir – Résilience.
Il est direct pour l’optimisme et le sentiment d’auto-efficacité, puisqu’ils sont un des objets de l’étude.
L’élaboration de pistes multiples répond quant à elle à la définition de l’espoir proposée par Snyder (as cited in Csillik, 2017, pp. 74-75) : « « un état positif de motivation qui se fonde sur une interaction des croyances et expériences dans :
- La volonté d’atteindre un but (l’énergie est dirigée vers un but) ;
- Les moyens pour y parvenir (la perception de sa capacité à trouver les moyens afin d’atteindre son but. »
Le lien est plus spécifique encore avec l’une des trois composantes de l’espoir : « les capacités de développement de stratégies spécifiques pour atteindre les buts, la perception qu’a un individu de ses propres capacités à trouver des voies qui le mèneront vers ses buts »[6].
Quant au coping, il s’agit bien d’une forme de résilience. Si ce terme était initialement utilisé dans le cadre du stress, il recouvre aujourd’hui plus largement cette capacité à faire face à une situation difficile et à y réagir de façon à en maîtriser ou tout le moins en réduire l’impact sur le bien-être.
Antonia Csillik (2017) considère quant à elle la Mindfulness comme une ressource psychologique. Si elle s’appuie largement sur l’étude de Brown et Ryan (2003) mentionnée ci -avant, elle mentionne également l’expérience de Broderick (2005) qui a consisté à induire un état de tristesse chez les sujets participants. Ceux qui ont fait appel à la Mindfulness se sont rétablis plus rapidement que ceux chez qui était induit un état de distraction, voire de rumination. Csillik de conclure que « ces résultats sont prometteurs pour la recherche en psychologie clinique car ils suggèrent que la Mindfulness confère des moyens adaptatifs pour faire face aux événements stressants et aux émotions difficiles et négatives » (p. 28). Des conclusions qui renforcent l’hypothèse de l’impact de la Pleine conscience sur la résilience.
Conclusion
Nous l’avons dit, ces quelques pages n’ont pas la moindre prétention d’exhaustivité. Elles sont pour nous l’occasion de nous arrêter, de poser un questionnement et d’y apporter quelques pistes de compréhension.
Elles sont plus encore une incitation à poursuivre notre questionnement et notre approfondissement de ce champ que nous découvrons à peine. Qu’il s’agisse d’intervention en entreprise ou d’accompagnement individuel, la psychologie positive nous semble receler de nombreux outils et pistes de réflexion. Et, bien avant la mise en œuvre de ces apports, elle nous semble être un beau chemin vers une meilleure connaissance de soi.
[1] Positran – Psychologie de la transformation positive
[2] Formation d’instructeur MBSR – certificat d’université – Université Libre de Bruxelles (2014-2016)
[3] Fondamentaux de l’approche neurocognitive et comportementale – Institut de Neurocognitivisme Bruxelles (2017)
[4] https://www.positran.fr/produit-319722-cartes_d_actions_positives.html – Les actions proposées par chacune de ces cartes ont été validées par diverses recherches scientifiques (bibliographie annexée aux cartes).
[5] HERO : Hope – Efficacy – Resilience – Optimism
[6] Ce que Snyder qualifie de pathways thinking. Les deux autres composantes sont le goals thinking (capacité à définir clairement ses buts) et l’agency thinking (la mise en œuvre soutenue par une motivation suffisante).
Bibliographie
Brown, K. W. & Ryan, R. M. (2003). The benefits of being present : mindfulness and its role in psychological well-being. Journal of Personality and Social Psychology, 84 (4), 822-848. doi : 10.1037/0022-3514.84.4.822
Csillik, A. (2017). Les ressources psychologiques. Apports de la psychologie positive. Malakoff : Dunod.
Kabat-Zinn, J. (2005). Où tu vas, tu es. Paris : Editions J’ai Lu.
Les fondamentaux de l’approche neurocognitive et comportementale. (n.d.). Syllabus, Institute of NeuroCognitivism, Bruxelles.
Luthans, F. & Youssef-Morgan, C. (2017). Psychological Capital: An Evidence-Based Positive Approach. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior. 4. 10.1146/annurev-orgpsych-032516-113324.
Seligman, M. (2011). Flourish. New York : Free Press.
Shankland, R. ((2014). La psychologie positive. Malakoff : Dunod.
Strub, L. & Steiler, D. (2013). Investir dans le capital Pleine Conscience : l’évidence d’une valeur ajoutée pour les entreprises en termes de bien-être et de performance au travail. In C. Martin-Krumm, C. Taquinio & M.-J. Shaar (Eds), Psychologie positive en environnement professionnel (pp. 303-327). Bruxelles : De Boeck.
Comments
One Comment
Mindfulness Bruxelles
la méditation pleine conscience m’a bouleversé l’existence.
j’invite tout le monde à s’y mettre, c’est véritablement un changement radical dans votre vie qui vous attend !
Allez y, n’attendez pas.
Il n’y a rien que vous puissiez offrir de mieux à votre existence.