Depuis quelques temps, je suis tiraillé entre enthousiasme et méfiance par rapport au concept d’« entreprise libérée » et au management collaboratif.
Enthousiasme suite à mes rencontres avec Isabelle Tegenbos et ses collègues (SPF Sécurité Sociale), Laurent Ledoux (SPF Mobilité), Frédéric Laloux (Reinventig organizations), Bertrand Bailly (Davidson Consulting) ou Geoffroy Fauveaux et Isabelle Vandenbroucke (Onyrix) qui, à leurs échelles respectives (et pour autant que je puisse en juger), s’efforcent de transformer les lieux et conditions de travail de manière à ce que leurs collègues et collaborateurs soient (plus) heureux au travail…
Méfiance face aux chantres très médiatisés de l’ entreprise libérée qui ne vous dispensent leur bonne parole que moyennant (moult) espèces sonnantes et trébuchantes et qui serinent sur tous les tons que « l’ego des chefs est LE problème» tout en s’empressant de doper le leur à coup de titre ronflant, de CV à leur gloire, de grands messes du « Moi Je » …
Méfiance face à l’extrême marchandisation du concept, face à la surmédiatisation qui l’accompagne… et qui met en avant toujours le même panel d’individus qui pratique un entre-soi peu propice à l’ouverture et à l’échange qui me laisse quelque peu dubitatif…
Méfiance face au mépris (parfois quasi intégriste) de certains de ses adeptes pour celles et ceux qui (par exemple sur les réseaux sociaux) invitent à ne pas se précipiter tête baissée, à s’interroger. Sous prétexte qu’ils relèvent les paradoxes inquiétants que traversent parfois des entreprises dites libérées (le bonheur est une injonction paradoxale, ceux qui s’interrogent sont suspectés d’être rétrogrades et il serait normal de les virer, on applaudit le fait que la responsabilité de l’organisation soit parfois entièrement transférée aux travailleurs pendant que le patron joue au golf ou fait un tour du monde, …), les voilà voués aux gémonies et traités de tous les noms, comme si l’entreprise libérée était une religion et qu’il fallait avoir la foi.
Comment, dans tout cela, séparer le bon grain (parce qu’il y en a) de l’ivraie (il y en a aussi) ?
Voici quelques indices… très subjectifs dont j’ai constaté qu’ils me servaient de filtres…
Premier indice : une modestie de bon aloi.
Celles et ceux qui me semblent être dans une démarche sincère d’amélioration des conditions de travail se montrent généralement modestes et n’ont nullement la prétention de détenir LA vérité. Elles (ils) écoutent leurs collaborateurs, leurs collègues, elles (ils) s’informent de ce qui se fait ailleurs, remettent en question leurs pratiques, témoignent de leurs pratiques en disant : voilà ce qu’on a fait, voilà où nous en sommes, voilà ce qui a marché, voilà ce qui n’a pas marché, voilà ce qui continue à nous poser question … Elles (ils) s’expriment en « nous » et ne monopolisent pas le micro : leurs collaborateurs ne sont jamais bien loin et sont mis en évidence quand ils n’occupent pas carrément l’avant-scène.
Deuxième indice : la sincérité.
Ils font leur l’adage « walk your talk » et partagent leur expérience sans la facturer, parce que le bonheur au travail et l’ entreprise libérée, ils ne le vendent pas, ils le souhaitent… ils le créent… Ils l’incarnent aussi et leurs collaborateurs peuvent … sont invités à s’exprimer (fut-ce négativement) ; c’est en effet de cette expression que naitront les avancées de demain.
Troisième indice : un travail d’équipe.
L’amélioration des conditions de travail est une priorité pour toutes et tous, pas le combat d’une Jeanne d’Arc ou d’un preux chevalier. Les leaders partagent d’ailleurs les mérites et les bénéfices lorsque des progrès sont enregistrés : ils placent leurs collaborateurs (au-moins) sur le même pied que leurs clients et leur accordent la même attention.
Quatrième indice : la répartition des bénéfices.
Quand des améliorations dégagent des profits ou des marges (pécuniaires ou symboliques), ils sont partagés et également (voire d’abord) réinvestis dans l’amélioration des conditions de vie/de travail.
Cinquième indice : la responsabilité est partagée, pas transférée.
L’autonomie des collaborateurs ne signifie pas l’absence du leader. Si la décision est largement décentralisée, si l’autonomie est un maître mot, les leaders de ce type d’organisations n’hésitent pas à contribuer à la décision et surtout, quel que soit le décideur, ils endossent leur part de responsabilité et ne fuient pas au nom d’un prétendu « management moderne » ou d’une compréhension erronée du concept d’autonomie.
Sixième indice : l’éthique comme un phare.
Celles et ceux qui prônent sincèrement la libéralisation de l’entreprise analysent les résultats de leurs actes : si ceux-ci, alors que l’idée paraissait bonne, livrent des résultats contraires à leur conception humaniste de l’organisation, ils l’admettent et font marche arrière au lieu de considérer (par exemple et comme nous le lisons parfois) « qu’il faut éliminer » les collaborateurs qui ne suivent pas.
Septième indice : plusieurs bonnes réponses.
Le bonheur au travail est conjoncturel et ils/elles le savent : il est fonction de l’organisation, de son environnement, de son degré de maturité, des gens qu’elle emploie, … d’une multitude de facteurs en fait. Ils/elles n’appliquent dès lors pas LA bonne recette toute faite, conscients qu’il leur faut, avec leur équipe, trouver la leur, compte tenu des ingrédients en leur possession. Ils/elles savent aussi que cette recette évoluera constamment et qu’elle ne se résume pas à une formule incantatoire de type « organisation 3.0 ».
Le bénéfice du doute
Modestie, sincérité, équipe, partage, responsabilité, éthique, dimension conjoncturelle : la présence de nombre de ces indices dans les organisations que j’observe, dans les propos que j’entends ou que je lis a tendance à me rassurer. Je laisse alors le bénéfice du doute à mon interlocuteur/trice et je suis curieux de sa conception de l’organisation, de « son entreprise libérée », des pratiques qu’il/elle met en place, de ses succès, de ses échecs aussi (parce qu’il/elle ne les tait pas)… Je le/la considère à priori de bonne foi et j’ai plaisir à entamer un dialogue respectueux dont j’ai la conviction qu’il pourra être fructueux pour chacun(e).
Leur absence m’incite par contre à la méfiance et je m’efforce de ne pas (de ne plus) tomber dans le dialogue de sourds.
Et puisque je parle de dialogue, n’hésitez évidemment pas à réagir à cet article : vos apports enrichiront ma réflexion, celle de l’équipe d’Evoluo (www.evoluo.be) et de celles et ceux qui nous liront.
N’hésitez pas non plus à élargir le débat, à l’alimenter d’autres réflexions pour que notre entreprise soit libératrice… de parole à défaut d’être une entreprise libérée.
Laisser un commentaire